PACIFIC PROTOTYPE 2901,
« La Princesse de l’Ouest »


Chant du cygne de la compagnie alors dans le chaos.
Allure étrange, limite mystérieuse. Trop moderne pour son époque ?
Gloire éphémère, étoile filante, les ingrédients sont réunis, une étoile est née.

 

 

Vous le savez, pour mes constructions de modèles, plutôt que ceux des grandes séries, ma curiosité m’attire souvent vers des machines inhabituelles. Ne soyez donc pas étonnés car celle-là me fascine depuis un bon moment. Quel invraisemblable embiellage de distribution elle avait pas, la princesse ! Et quand un défi pareil me nargue, faut que je m’y frotte. Sans pour autant me prendre pour le King des bielles, je décroche ma ceinture et rentre dans la bagarre ! Résultat je m’en sors pas trop mal. Quelle joie de voir au ralenti s’animer toutes ces petites bielles formant un ballet composé de divers mouvements semblant s’opposer les uns aux autres !
     Une telle animation sur un modèle, la recherche de roues du bon diamètre, de l’espace idéal pour loger la moto-transmission… Autant de petites épreuves techniques forment le déclencheur qui me fait m’engager dans une telle construction. Si en plus de ça des échanges me font découvrir qu’un ami voue une véritable passion pour la machine dont il est question, alors me voilà au timbre ! C’est ici le cas avec Luc Fournier. Je bénéficie de ses connaissances et son enthousiasme partagé me donne des ailes. Alors pas d’excuse ; avec autant d’atouts en main, plus question de reporter la construction de ce modèle aux calendes grecques.
Faisons d’abord connaissance avec cette extraordinaire Pacific réelle. Je me mets donc « en veilleuse » et laisse la parole à l’ami Luc, son inconditionnel défenseur…

 
 

Les 231 2901 et 2902 de la compagnie de l’Ouest.

Mises à l’étude par l’ingénieur en chef de la traction de la compagnie de l’Ouest Robert Dubois (1863-1940) à son retour de l’exposition de Saint- Louis (Missouri), les 2901-2902 auraient dues être les premières « pacifics » européennes. L’emploi du conditionnel semble résumer tout leur destin : mises en chantier aux ateliers de Sotteville-lès-Rouen dès 1904, les difficultés financières du commanditaire repoussent leur achèvement à l’année 1908, date qui coïncide avec le vote par le Parlement du rachat de l’Ouest par l’Etat et sa fusion avec le réseau administré par ce dernier entre Loire et Gironde. Si la culture technique de la compagnie disparue demeure prégnante au sein de la nouvelle administration, le nouveau service de la traction se montre quelque peu méfiant à l’égard de ces deux machines aux dispositions inhabituelles dont on ne pourra jauger qu’avec le temps le comportement en service. Or, le temps presse : le réseau de l’Ouest-Etat souhaite se hisser le plus rapidement au niveau de son grand voisin, le P.O. qui a sorti sa « pacific » 4501 en 1907 et le Midi dont la « 3001 » effectue ses premiers tours de roues cette même année 1908, ces deux machines étant, sur le plan technique, très apparentées. C’est pourquoi, la nouvelle administration passe commande en 1909 de 50 pacifics (futures 3-231 011-060 puis 231 B à la SNCF), type hybride reprenant le bissel et la chaudière des machines de l’Ouest avec augmentation de la longueur du corps tubulaire et raccourcissement de la boîte à fumée. En revanche, le mécanisme est celui des 230 3800 (230-800 puis 3-230 G) de l’ancien-Etat, classiques compound de Glehn dérivées de l’atlantic-Nord. Ce choix condamne les 2901-2902 réimmatriculées 6001-6002 puis 231-001-002 à demeurer des prototypes isolés dont la carrière sera brève. Alors, la pacific prototype de l’Ouest, machine novatrice ou simplement inaccoutumée ? Sur le strict plan mécanique, cela mérite discussion : il s’agit d’une classique locomotive compound à quatre cylindres et à vapeur saturée dont, seul exemple en France, les cylindres à basse- pression sont extérieurs et dotée d’une distribution Walschaerts qui équipe déjà un certain nombre de machines françaises. Sur le plan de la conception, en revanche, la réponse ne fait guère de doute : la 2901 est une locomotive dont chaque élément a été « pensé » pour faciliter le travail de l’équipe de conduite en faisant table rase de toutes les traditions, de toutes les habitudes constructives de l’époque : le report des cylindres basse- pression à l’extérieur permet de loger les cylindres haute- pression entre les longerons sans faire subir à ces derniers de surécartement. Le « podium » installé au- dessus de la traverse avant facilite l’accès à la boîte à fumée qui doit sa longueur inhabituelle au fait qu’elle abrite les conduits d’échange de vapeur entre les groupes de cylindres. On remarquera les « trous d’homme » découpés dans la selle de chaudière qui permettent l’accès aux cylindres intérieurs, sans parler des commandes de distributions pouvant être contrôlées de l’extérieur sans que l’on soit obligé de passer la locomotive sur fosse. Sous l’abri, équipé de strapontins et de vitres coulissantes, les commandes sont regroupées de manière rationnelle sur un axe horizontal, l’action du régulateur s’effectuant via un volant horizontal de type routier, discret emprunt à une technologie qui « monte » à l’époque : l’automobile. Afin de faciliter l’inscription en courbe, l’essieu arrière est équipé d’un jeu latéral avec rappel par biellettes qui s’imposera à toutes les « pacifics » de l’Etat. Ce concentré d’intelligence technologique sort, au printemps 1908, des ateliers de Sotteville. Mais les jeux sont faits : le rachat de l’Ouest n’est, désormais, un doute pour personne et la compagnie déchue s’offre un dernier « coup médiatique » en exposant sa dernière-née à la gare Saint- Lazare, durant le mois d’août, derrière la 111 « Buddicom » tendérisée n° 0131. La « 2901 » fait sensation le temps d’un été, inspirant au philosophe Alain Chartier dit Alain (1868-1951) quelques lignes laudatives. On ne saura que peu de choses de leur comportement en ligne : il semble que ces locomotives bénéficiaient d’une excellente tenue de voie et d’une bonne aptitude à la vitesse comme put le constater le dessinateur Pierre Delarue-Nouvellière (1889-1973) remorqué en 1909 par une de ces machines sur un rapide Le Mans-Paris. En revanche, leur boîte à fumée trop longue ne devait pas faciliter la vaporisation et leur distribution extérieure était sujette à des difficultés de réglage. Restées sans descendance, les deux « pacifics » prototypes de l’Ouest furent, dans un premier temps, employées à la remorque d’express et de rapides au départ de Paris sur les lignes du Havre et de Brest et il est probable qu’elles firent des essais sur la ligne de Bordeaux, du moins jusqu’à Thouars. Après l’armistice de 1918, le renforcement du parc permit de les affecter à des tâches secondaires, principalement « marchandises » au dépôt de Chartres d’où elles rayonnaient vers Paris, Le Mans et Château-du-Loir. Elles remorquaient, notamment, des trains de charbon vers l’ancienne gare de Paris- Champ-de-Mars. Réformées en 1928, la chaudière de l’une d’entre elles fut acheminée vers Sotteville pour servir de générateur. Mais peu importait, le souvenir des deux « pacifics » de l’Ouest allait demeurer dans la mémoire du chemin de fer français.

 
 

La « pacific » prototype de l’Ouest vue par Luc Fournier.

Noël 1971 : mes parents me font cadeau de « l’Histoire des chemins de fer en France » ouvrage de 1963 paru aux Presses modernes. Sur la page 158, deux photos des « pacifics » du P.O séries 3500 et 4500 qui me sont déjà familières et, au milieu, une machine dont l’aspect déroutant me fascine. Est-elle belle ? Est-elle laide ? Le style, lui-même, est totalement inattendu : on croirait se trouver en présence d’un mélange de technologie américaine, britannique voire italienne. Quatre Noëls plus tard, m’attend dans mon soulier « le Matériel moteur et roulant des chemins de fer de l’Etat » que Lucien-Maurice Vilain a fait publier en 1972. Je vais en apprendre davantage sur la créature dont je tombe vite amoureux. Pourquoi ? Parce que si je prise l’esthétique équilibrée et harmonieuse des « pacifics » du P.O, elle en est l’antithèse.  Une  antithèse  dont  le  style  pourrait  aboutir  à  un  de  ces  laiderons,  de  ces« disgrâciées » que l’on rencontre sur toutes les compagnies ferroviaires françaises. Or si sa beauté n’est pas perceptible au premier regard, elle n’en est pas moins évidente, ce pour une raison bien simple : tout dans son aspect concoure à évoquer la vitesse pour quoi elle est faite, depuis la boîte à fumée qui semble vouloir s’élancer vers l’avant, jusqu’à cet abri qui se cache derrière la chaudière, en passant par les bielles, toutes extérieures, qui sont autant de flèches dardées et les petits marchepieds d’accès à la traverse avant, inclinés vers l’arrière comme pour mieux suggérer, une fois encore, cette quête assoiffée de l’espace et du temps. Vue de face, la machine avec son « podium » posé sur la traverse avant et sa chaudière bien dégagée, contraint l’œil à aller vers le haut, le ciel, l’envol…

Mais il y a plus encore : la « pacific » prototype de l’Ouest est prémonitoire des machines du XXème siècle en ce sens qu’elle abandonne tous ces éléments techniques servant de supports décoratifs, hérités du XIXème siècle : un tablier rectiligne sans aucun couvre-roues, un abri où les petites fenêtres type P.O, ou l’échancrure type Nord ou PLM sont remplacées par une baie coulissante que l’on ne reverra que sur les 141 P et 241 P ; des cylindres volumineux qui suggèrent la puissance des locomotives à venir et jusqu’à cette pompe, placée là où on la trouvera sur les 141 R…

La « pacific » prototype de l’Ouest est une sorte de mythe comme les aimait Roland Barthes. Elle est un peu l’équivalent, pour le domaine ferroviaire, de la Citroën DS…

                                                                             Luc Fournier

 

ÉTAPES DE CONSTRUCTION

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MERCI à Jean Buchmann, Luc Fournier, Gilles Lafouge et Hervé Valois.